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« Henri Leclerc était le Churchill des avocats »

Toutes les générations d’avocats depuis soixante ans l’ont éprouvé. Henri Leclerc était leur incontestable champion, les avocats de gauche comme de droite, les vieux comme les jeunes, les femmes comme les hommes. C’était unanime. Comme ces grands sportifs qui surpassent tous leurs congénères dans leur discipline et inscrivent leur nom dans l’histoire, Henri Leclerc était le meilleur d’entre nous. Il avait tout. Il avait toutes les qualités de l’avocat.
Très fin juriste, as de la procédure, c’était un travailleur acharné qui ne dormait que quelques heures par nuit pour ne rien ignorer des dossiers qu’il allait plaider. Il avait l’empathie et la bienveillance qui permettent de comprendre et de convaincre son juge. Il était lucide. Il savait se faire patelin ou terrible et menaçant, selon ce qu’exigeait le dossier. Mais jamais il ne transigeait sur les principes. Il avait la science de l’audience, écouter sans en avoir l’air, surgir quand personne ne s’y attend, et une inégalable facilité pour interroger, confondre et confesser s’il le fallait, les témoins et parties déposant à la barre. Il y imposait son rythme, son souffle, sa logique.
Il était redoutable et redouté, car il pouvait être sarcastique ou élever sa voix grave et chaude pour couvrir tumultes et récriminations. En un mot, Henri Leclerc était fascinant. Un lion. C’était notre Churchill à nous. Et lorsque son tour de plaider arrivait, la fascination virait à l’enchantement, à l’envoûtement. On ne perdait pas une miette de ce qu’il disait. C’était une élévation. Il faut dire qu’il avait une carte de plus que les autres : une immense humanité. Il croyait profondément au rachat. Il aimait les matins, quand l’aube annonce un autre jour. Il disait sa foi dans l’homme, sa foi dans la justice et les jurés l’écoutaient en larmes. Il était la défense.
J’ai éprouvé tout cela un jour. J’étais encore à l’école d’avocat, stagiaire en juridiction. J’ai séché les travaux de la chambre à laquelle j’étais affecté pour suivre un procès devant la cour d’assises. Celui de Betty Sebaoun, dans lequel il défendait Philippe Allouche que tout le monde accusait. Sa plaidoirie m’a bouleversé. J’ai alors tout fait pour rejoindre son cabinet et travailler à ses côtés.
Etudiant, j’avais lancé en 1986 le mensuel Légipresse, avec Charles-Henry Dubail. Il était l’avocat de Libération. C’était la bonne porte d’entrée. Nous avons fait beaucoup de droit de la presse ensemble. Mais je ne l’ai pas suivi qu’à la 17e [chambre correctionnelle du tribunal de Paris spécialisée dans les affaires de presse]. Je l’ai accompagné devant de nombreuses cours d’assises de France. C’était un apprentissage par l’exemple. Et partir quelques jours avec lui, c’était l’aubaine de l’avoir pour soi, d’écouter des choses toujours intelligentes, jamais médiocres ou mesquines, souvent drôles. Il aimait transmettre.
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